J’aime mon job. Je suis comme la plupart de mes collègues et amis policiers. Je crois même en être fou. Je l’ai toujours été. Devenir inspecteur était pour moi une évidence, depuis mon adolescence. Aucune autre voie n’était envisageable. Et si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seule seconde.
Aucun autre métier n’aurait pu me rendre si fier. Aucune autre activité ne m’aurait apporté autant d’émotions intenses, d’expériences humaines si riches et surtout, de satisfaction grisante d’être utile à mes concitoyens.
Aujourd’hui, je vis toujours pleinement cette passion. Je ne compte pas mon temps. D’ailleurs, tout comme mes camarades, il m’arrive souvent de ne pas compter mes heures supplémentaires. Pas très syndical, tout ça, me direz-vous. Pas très conforme non plus avec l’image stéréotypée que vous vous faites probablement du fonctionnaire. Eh oui, les clichés ont la vie dure.
Chaque jour, j’ai la chance et le privilège de retrouver des femmes et des hommes d’exception, passionnés eux aussi. Des gens merveilleux et exemplaires de par leur dévouement, les valeurs qu’ils défendent, et leur résilience.
La quête du renseignement; la gestion des sources; les investigations – sous l’égide du Ministère Public – sur les crimes et délits les plus graves du code pénal; les enquêtes complexes et de longue haleine; la fixation des scènes de crime et de la récolte des traces; la lutte contre la cybercriminalité, contre les tueurs, les braqueurs, les dealers, les délinquants sexuels, les criminels en col blanc et autres voleurs en tous genres; l’infiltration et le démantèlement de réseaux criminels; la recherche de personnes disparues; la traque des fugitifs; la délinquance juvénile et les auditions de jeunes victimes; la négociation en situation de crise afin d’éviter que l’irréparable ne soit commis; la filature et l’interpellation d’individus dangereux et mobiles; la prévention des extrémismes; les missions à l’étranger afin de faire traduire devant la justice ceux qui s’en sont pris à nos citoyens.
Voilà ce qu’accomplissent au quotidien vos inspectrices et inspecteurs. Des policiers dont le savoir-faire était jusqu’ici reconnu par ses partenaires, par les magistrats et avocats, à Genève, en Suisse ou à l’étranger.
Voilà également ce que j’ai voulu défendre en intégrant le comité du SPJ. Pourtant, je n’étais pas destiné à devenir syndicaliste. Je crois que je ne m’étais même jamais rendu à une seule assemblée générale du SPJ.
Jusque-là, en effet, ma satisfaction et mon plaisir me suffisaient, niais que j’étais. Oui, niais. Et aveugle. Car trop de politiciens méprisants ont longtemps joué et abusé de cette capacité de résilience des policiers. Pour eux, le flic est un chien de chasse. Cognez-le, retirez-lui sa gamelle, et usez-le. Qui s’en plaindra ? Qui le défendra ? De toute façon, quand le chien sentira à nouveau l’odeur du gibier, il oubliera les coups et les mauvais traitements, il remuera à nouveau la queue, et se mettra en quête. Il sera tellement heureux de ramener la proie qu’il se contentera d’une petite tape encourageante sur la tête. Avant les prochains coups et la traque suivante. Car c’est sa raison de vivre, au chien. Et c’est vrai, hélas, trop longtemps nous avons fonctionné ainsi.
Les limites ont donc été plus ou moins aisément franchies par l’employeur. Autant d’attaques incessantes, aussi violentes qu’incompréhensibles, sur nos conditions de travail; un employeur qui n’a de cesse de vouloir nous déclasser, nous réévaluer, pardon, plutôt nous dévaluer, en se basant sur des « boîtes noires » ou autres « formules secrètes» fabriquées par des entreprises privées et grassement payées qui refusent de justifier leurs calculs ou conclusions; ce alors que le métier devient pourtant plus difficile, et les défis ainsi que les nouvelles menaces plus nombreux.
Le SPJ résiste à chaque assaut; il communique; il participe à des groupes de travail; il négocie; il fait des contre-propositions.; et quand il n’a plus d’autre option, il saisit la Justice, qui lui donne souvent raison.
Mais de nombreuses attaques restent à venir : SCORE, qui va surtout profiter à nos conseillers d’Etat et à la direction de la police; l’indemnité risque inhérent à la fonction des policiers, dont un Conseiller d’Etat avait dit qu’elle était injustifiée car selon lui, un policier ne prenait pas davantage de risques qu’une infirmière, un garde-faune ou un inspecteur du SCOM; la LTrait; la Caisse de Pension, pourtant saine; et d’autres encore.
À ce mépris affiché, à ce manque cruel de reconnaissance, et à cet insupportable dénigrement, est venu s’ajouter un mal bien plus destructeur encore : la perte du sens des missions, provoquée par une désorganisation totale d’une police qui jusque-là fonctionnait merveilleusement bien.
Certes, un flic supportera peut-être les coups et les brimades; mais empêchez-le de faire ce en quoi il croit profondément, pour lequel il a été formé, dans lequel il excelle, et qu’il aime par-dessus tout, et il dépérira jusqu’à en crever.
Une fonction devenue moins attractive; un recrutement inexorablement nivelé vers le bas; engager à tout prix, frénétiquement, pour tenter de combler les manques d’effectifs mis en lumière et ce, au détriment de la qualité; une formation inadaptée et lacunaire dénoncée à maintes reprises; un encadrement insuffisant; avec tous les risques que cela engendre.
Une loi sur la police à bout de souffle qui a déjà largement montré ses limites, qui coûte plus chère à la collectivité alors qu’elle prive les justiciables du service de qualité auquel ils ont droit.
Une multiplication de silos hermétiques et d’états-majors coûteux, qui ne collaborent pas entre eux, voire pire, se font la guerre; une confusion des genres et des rôles, au final préjudiciable aux victimes d’infractions.
Des appels 117 qui ne sont plus assurés; des citoyens qui ont le sentiment de ne plus être écoutés par leur police; des victimes qui ne sont plus prises en charge comme elles le devraient; des enquêtes bâclées; le mécontentement légitime des habitants de Perly suite à une affaire non résolue d’agressions à répétition, qui n’est hélas qu’une illustration des multiples et graves dysfonctionnements de la police et du chaos provoqués par les incohérences de la direction de la police.
Cette direction de la police qui – parlons-en – brille par son incompétence et/ou son indifférence coupable, et préfère se fourvoyer jour après jour en tentant désespérément de sauver cette LPol moribonde, mais garante de ses privilèges, plutôt que de reconnaître ses égarements et de réparer ses erreurs; une direction de la police qui tente désormais de dévaloriser la police judiciaire; car en luttant pour exister et pour survivre aujourd’hui, et en se battant pour la défense de ses spécificités, de sa filière de qualité, et de son savoir-faire essentiel – la PJ fait vaciller les fondations mêmes de la LPol.
Les effets sont d’ores et déjà été dévastateurs : délabrement de la confiance; érosion de la foi; démotivation; apparition inquiétante et révélatrice d’un absentéisme « déguisé »; augmentation alarmante de fréquentation du service psycho-social de la police; démissions en série; absence de candidats aux prises de grades. Autant de signaux qui auraient dû alarmer depuis longtemps ceux qui ont un pouvoir de décision.
Mais rien n’a changé. C’est pourtant bel et bien le savoir-faire d’un service à la population qui est aujourd’hui plus menacé que jamais.
La situation est extrêmement grave. Il est urgent d’agir. Trop de temps précieux a été perdu en palabres et en dissimulations de la vérité. Le SPJ continuera à se battre, avec toute la légitimité qui est sienne, avec encore plus de force et conviction, et avec le soutien de ses membres qui – toutes strates confondues- font le même constat affligeant. Se battre pour que les compétences des femmes et des hommes fabuleux qui composent cette police judiciaire soient reconnues, mais surtout pour que nos citoyennes et citoyens puissent encore jouir du service d’excellence qu’ils sont en droit d’exiger.